Ce que le sport peut pour Caster Semanya
publiée par lemonde.fr du 16.10.09
Hermaphrodisme, intersexualité, les mots sont lâchés. C'est le Sydney Morning Herald Tribune le premier qui a employé ces mots pour décrire une athlète hors norme. Effectivement, hors normes sont ses performances aux 800 mètres mondiaux d'août dernier et hors norme est sûrement la femme qui se cache derrière la sportive de haut niveau… ou l'homme. Le débat est lancé et prend place dans ce blanc-seing où le droit n'a pas encore légiféré (ce qui ne saurait tarder puisque l'IAAF a décidé de travailler sur une réglementation définissant mieux le genre féminin !). En attendant l'arbitrage de la fédération internationale, à l'occasion du conseil exécutif de l'IAAF concernant son cas le 20 ou le 21 novembre.
Car la particularité sexuelle de cette jeune femme âgée de 18 ans intrigue. Dès lors qu'on effleure le sexe de quelque sujet que ce soit, c'est de la naissance du monde et de son mystère que l'on veut un peu s'emparer. Dans l'inconscient collectif, c'est de notre propre humanité qu'il s'agit. D'aucuns affirmeront d'ailleurs que le sexe est le centre de l'être. Et si d'intersexualité il est ici question, comment alors nous situer, expliquer notre propre avènement sur Terre ? Et que dire de l'injustice faite aux femmes quand on cherche à enfermer leur sexe à l'intérieur de critères qui correspondent à des stéréotypes sociétaux ? Cela ne peut que les conduire à les exclure dès lors qu'elles apparaissent "hors normes". Nous sommes bien là au cœur des questions ontologiques au milieu desquelles se retrouve l'athlète, bien malgré elle.
Nul ne sait si derrière ses réactions désinvoltes, cette femme n'est pas anéantie. Ne cache-t-elle pas derrière ce semblant de flegme une âme meurtrie malgré une entrée retentissante sur la scène où se jouent la performance, le rêve et le dépassement de soi ? A travers ce destin tellurique, porté par les centaines de pas qui imposent admiration et respect, comment ne pas imaginer aujourd'hui que cette enfant, puis cette jeune fille, ne se soit pas jetée à corps perdu dans le sport, ce parfait exutoire à son mal-être, à sa singularité ?
Le sport et toutes ses valeurs lui ont peut-être permis, en se dépassant, de contourner ses complexes, de sentir la force en elle l'envahir jusqu'à la porter aux sommets de la victoire. Peut-être est-il même allé jusqu'à la sauver en lui permettant peut-être inconsciemment de croire en sa propre humanité ? Mais en courant après elle-même, son destin l'a aujourd'hui rattrapée. Caster Semenya essuie les plâtres de sa particularité et fait l'objet de diatribes qui laisseront des traces inexpiables dans sa chair comme dans sa tête. Désormais elle n'est ni femme ni homme aux yeux de la justice jusqu'à ce que le verdict de l'IAAF tombe. Mais la polémique perdurera sûrement après la décision tout autant que la curiosité pour son cas. La souffrance ne pourra pas s'atténuer.
L'étude de Caster Semenya ne répondra pas à nos questions existentielles. Il nous incombe uniquement de la respecter pour ce qu'elle est et de faire valoir ses droits, à commencer par celui de courir, pour elle-même, mais surtout pour gagner la reconnaissance de ses contemporains. C'est probablement le sport qui lui a permis de voir dans les yeux de ses semblables le reflet d'un être accompli et confiant. En courant, elle se donne les moyens de marcher droite comme un I et d'être pleinement ce qu'elle est. Le sport l'a peut-être sauvée dans son humanité, il ne faut pas que notre regard et le jugement la tuent. Et s'il appartenait finalement aux règlementations sportives de s'adapter à des cas comme celui de Caster Semenya, de s'interroger et de se renouveler sur la question de la mixité, au moins au niveau amateur ?
Emmanuelle Jappert est membre fondatrice du groupe de réflexion Sport et Citoyenneté ;
Annie Sugier est présidente de la Ligue du droit international des femmes
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