Les Méres d'Alger
Combat des mères privées de leurs enfants par leurs ex-compagnons ou maris algériens bien qu’elle en aient légalement la garde en France.
Novembre 1983 : 1ère manifestation à Paris Juillet 1984 : un bateau pour Alger Juin 1985 : occupation de l’Ambassade de France à Alger Décembre 1985 : 1ère visite transfrontière enfants Février 1987 : marche des mères Paris - Genève via Strasbourg Mai-Juin 1988 : grève de la faim de 2 mères à Orly. Visite du Président Mitterrand Juin 1988 : signature d’une convention France / Algérie
En Belgique, la député européenne Anne-Marie Lizin, présidente de la Commission de Recherche, vice-présidente de la Commission Femmes du PS, bourgmestre de la ville de Huy, n’a pas hésité à aller chercher elle-même, en Algérie, les trois enfants adolescents, enlevés par le mari divorcé à leur mère belge, jusqu’alors élevés en Belgique. En Algérie, elle a été emprisonnée cinq jours jusqu’à parvenir enfin à un accord en faveur de la mère (février 1986).
La LDIF et les Mères d’Alger
Novembre 1983 (9.11.1983) : 1ère manifestation à Paris lors d’une visite du président d’Algérie Monsieur Chadli. Une délégation de mères, privées de leurs enfants par leurs ex-compagnons ou maris algériens bien qu’elles en aient légalement la garde en France, souhaitait alors remettre à l’Ambassade d’Algérie leurs dossiers personnels. Elles voulaient aussi évoquer l’urgence d’une négociation franco-algérienne pour empêcher que cette situation ne se prolonge indéfiniment. Le 9 novembre 1983, non seulement la délégation des mères organisées autour de l’Association Nationale : défense des enfants enlevés (A.N.D.E.E.) n’est pas reçue, mais elle est emmenée sans ménagement au commissariat du 16ème arrondissement où des propos du type « c’est de votre faute, vous saviez ce que vous faisiez en épousant un Arabe ! » leur ont été une fois de plus adressés.
Juillet 1984 : opération « Un bateau pour Alger ». L’opération est organisée par l’ANDEE (Gabrielle Bertrand) et la Ligue du Droit des Femmes (LDIF), elle est soutenue par une vingtaine d’associations féministes, confessionnelles ou anti-racistes comme le Mouvement Français pour le Planning Familial, le MRAP, Jeunes Femmes, le collectif Ruptures, etc ...
La LDF, pour sa part, était présente par solidarité aux côtés de l’ANDEE à la manifestation du 9 novembre, puis elle a pris à partir du printemps 1984 un rôle central dans la préparation de l’opération « Un bateau pour Alger », sans ménager ses efforts. La Ligue reconnaît poursuivre « au- delà de cette action ponctuelle » la mise en place d’une « association de type Amnesty International » chargée de « dénoncer les violences exercées à l’encontre des femmes ». Les enlèvements d’enfants entrent dans cette problématique, même s’ils posent aussi la question fondamentale des droits de l’enfant. Mais entre les luettes quotidiennes menées dans des conditions extrêmement difficiles par les mères privées de leurs enfants, et l’objectif plus global poursuivi par la Ligue, existe un hiatus important qui pose problème. Le « Bateau pour Alger » est-il, du point de vue des femmes et des enfants concernés, la meilleure stratégie pour qu’ils rentrent dans leurs droits ?
Dans une lettre du 29 juin à Gabrielle Bertrand, Claude Cheysson, Ministre des Relations Extérieures, rappelle qu’il est « très conscient de la gravité de ces situations douloureuses » mais considère que le Bateau pour Alger « ne constitue pas la méthode appropriée ». Pour « l’efficacité de la démarche » il lui semble préférable de « prévoir une délégation de cinq à dix personnes » qui, reçue par les autorités algériennes - ce qui ne sera probablement pas le cas des organisatrices du Bateau pour Alger -, pourrait avoir des entretiens « utiles ». Autrement dit, il maintient la porte ouverte. Les autorités algériennes, pour leur part, ont fait savoir à leurs homologues français qu’elles étaient prêtes à recevoir cette délégation restreinte et à ouvrir immédiatement la négociation sur les moyens de régler un certain nombre de cas particuliers, de garantir aux mères lésées par le passé un droit de visite en Algérie et d’envisager pour l’avenir de rendre applicables en Algérie les jugements rendus en France et de réprimer les déplacements illégaux.
Le 2 juillet, lors d’une conférence de presse très suivie, les organisatrices annoncent qu’elles pourraient surseoir à leur action si elles avaient « avant le 4 juillet à 18 heures un certain nombre d’assurances par voie de communiqué officiel ». Il s’agirait conjointement de « résoudre dans l’immédiat, et à titre exemplaire, les cas des mères participant à l’opération [...] et de reconnaître la validité des principes essentiels contenus dans les conventions judiciaires en matière de droit de garde et de droit de visite ». Pourtant, un autre texte, émanant de la Ligue et de l’ANDEE, du 29 juin, définissait des conditions beaucoup plus dures et exigeait « un engagement écrit et formel des gouvernements français et algérien », ce qui paraissait difficilement réalisable dans un si bref délai.
Le 4 juillet à 16 heures 15, un peu moins de deux heures avant l’expiration de l’ultimatum, un communiqué officiel d’Yvette Roudy tente de calmer le jeu. Reconnaissant que « ce geste a certes quelques chose de provocateur » mais comprenant « l’impatience » de ces femmes, elle espère que « le bon sens et l’humanité finiront par prévaloir ». A 18 heures 30, les organisatrices se réunissent pour prendre leur décision. Pendant que la télévision et la presse se bousculent à la porte, elles apprennent par un communié du Ministère des Relations Extérieures que les autorités algériennes pourraient recevoir, dans un délai de trois semaines, une délégation restreinte en vue « d’examiner les points à l’ordre du jour et notamment les dossiers des 26 mères ». Au terme d’une réunion très tendue, la décision définitive est différée au 6 juillet au matin, sur le port de Marseille, en présence de toutes les participantes à l’opération. Deux positions s’opposent à partir de ce moment-là. Les tenantes de la première restent fidèles à l’idée d’un « bateau-symbole ». Elles jugent trop vague le communiqué français qui n’évoque pas explicitement le principe d’une convention bilatérale et encore plus vague que celui de l’APS (Algérie Presse Service) qui précise que le gouvernement algérien est prêt à évoquer « la situation issue des mariages mixtes ». Les autres, minoritaires, considèrent qu’elles ont obtenu le maximum grâce à al stratégie de pression utilisée et qu’elles ont tout à perdre dans un voyage qui aurait pour conséquence de refermer les portes de la négociation. Cette seconde position était impossible à tenir jusqu’au 29 juin parce que les participantes unanimes n’espéraient aucun soutien du gouvernement français à la fois sollicité et jugé incapable de faire aboutir leurs revendications. L’activité intense déployée sans relâche par le Ministère des Droits de la Femme en relation avec les autres Ministères concernés et les ouvertures algériennes inespérées il y a encore quelques jours ont réussi à convaincre à la dernière minute les participantes d’abandonner le terrain du symbolique pour accepter de se situer sur celui du politique dans un souci d’efficacité.
Juillet 1985 : occupation de l’Ambassade de France à Alger par « 5 Mères d’Alger » pendant 5 mois.
Décembre 1985 : 1ère visite transfrontière pour huit enfants issus de couples franco-algérien. Libération du 23.12.85
Janvier 1986 : retour des enfants à Alger, conformément à la promesse faite par leurs mères, condition de la visite. La Croix du 3.01.86
Deux médiateurs sont nommés par le gouvernement français et par le gouvernement algérien = P. Bouchet côté français et T. Belloula côté algérien Des procès exemplaires sont envisagés
Juin 1986 : les roses fanées des mères déçues (en mars 1986 un nouveau médiateur français est nommé : M. Allaer). Pour marquer le premier anniversaire de leur « occupation » de l’Ambassade de France à Alger et témoigner de « leur espoir déçu » le Collectif de soutien aux mères d’enfants enlevés en Algérie a offert, mardi 17 juin, des pétales de roses fanées au Président de la République, au Président du Sénat, au Premier Ministre et au Président de l’Assemblée Nationale. Les deux fils d’une des mères demandent asile à l’Ambassade de France à Alger ; refoulés ils sont hébergés par des amis français et algériens. L’aîné, âgé de plus de 18 ans, peut rentrer en France.
Février 1987 (du 10.02 au 4.03) : marche des « Mères d’Alger » de Paris à Genève, via Strasbourg et le Parlement Européen, pour obtenir de la Commission des Droits de l’Homme une convention internationale. "La Longue Marche des Mères d’Alger (Tribune de Genève)".
Pour cette marche, aux cinq « Mères d’Alger » vient se joindre une sixième, une anglaise. Le collectif de solidarité se constitue en comité de soutien, élargi à une trentaine d’organisations féministes, humanitaires, caritatives ou de défense des droits de l’homme, françaises et internationales. La marche, préparée pendant tout d’hiver, se déroulera du 10 février au 4 mars ; les communes étapes sont sollicitées pour assurer l’hébergement.
Avant leur départ, les six mères sont reçues par les Présidents des deux Assemblées, Alain Poher et Jacques Chaban-Delmas, et par le Président de la République. François Mitterrand s’engage à « traiter personnellement de cette affaire avec le Président Chadli » ; il dit aussi : « il est déshonorant pour nos deux pays que l’on ne réussisse pas à résoudre des problèmes comme ceux-ci ».
L’impact de ces audiences et des propos du Chef de l’Etat est immédiat : l’Algérie se déclare prête « à trouver les voies et moyens garantissant aux parents l’exercice du droit de visite transfrontière ».
Le 17 février, les mères sont à Strasbourg : Sir Henry Plumb, Président du Parlement Européen, les reçoit chaleureusement et leur apporte son soutien ; un médiateur européen sera désigné. Et là, à Strasbourg, coup d’état : les enfants de quatre des mères arrivent, escortés par des fonctionnaires algériens et par ... les pères ; après une nuit de négociations tendues, le climat s’améliore ; on fait des progrès : les autorités algériennes s’engagent à faire respecter le droit de visite transfrontière en faveur des mères. Et tout le monde se sépare. Et elles repartent sur la route.
Le premier résultat c’est l’engagement de l’Algérie de garantir le séjour des enfants des marcheuses en France, l’été prochain ; les premiers arriveront le 1er juillet qui constitue déjà une nouvelle étape symbolique de la « longue marche ».
La négociation franco-algérienne est relancée favorablement en vue de la signature d’une convention bilatérale. Marie-Claude Vayssade est nommée médiatrice par le Parlement Européen ; le gouvernement français nomme un nouveau médiateur, Claude Allaer.
Mais il faut aussi ajouter la prise en compte publique du problème par les hautes autorités nationales et les représentants éminents d’organisations intergouvernementales. La couverture permanente par la presse, les radios et télévisions a complété cette prise en charge et l’a relayée vers l’opinion ; la marche n’a certes pas soulevé des foules sur son passage mais a, partout, suscité intérêt et sympathie. Les racistes et les donneurs de leçons sont restés discrets.
Février 1987, un reportage vidéo a été réalisé sur ce voyage par Josée Constantin intitulé "Le voyage d’hiver".
Eté 1987 : premières vacances officielles en France d’enfants issus de couples franco-algériens. Libération du 3.07.87 et Libération du 9.07.87
Mai - Juin 1988 : deux « Mères d’Alger » font la grève de la faim dans l’aérogare d’Orly-sud. Le Président Mitterand leur rend visite. Figaro du 9.06.88 et Témoignage Chrétien du 20-26.03.89
21 juin 1988 : Signature d’une convention entre la France et l’Algérie sur les enfants franco-algériens (décret J.O du 19.08.1986). Libération du 23.06.88
Betty Mahmoody, la jeune femme américaine mariée à un Iranien et qui a réussi à s’enfuir avec sa fille d’Iran résume dans son livre "Jamais sans ma fille" l’aventure de chacune des Mères d’Alger et le combat de la LDIF.
Il convient de souligner que cette longue lutte des Mères d’Alger et de la LDIF, qui a permis le retour en France des enfants des Mères d’Alger, a aussi, pour l’avenir, abouti à deux textes officiels, l’un en France, l’autre aux Nations Unies, à savoir :
convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relative aux enfants issus de couples mixtes séparés franco-algériens. Convention qui a fait l’objet d’une analyse de doctrine dans la Gazette du Palais en date du 31.08 - 1.09.1988.
résolution des Nations-Unies, Commission des Droits de l’Homme, question relative aux droits de l’enfant.
Enfin, aussi longue et acharnée qu’elle ait été, cette lutte n’aurait pas abouti si des hommes et des femmes du milieu politique et de l’administration des deux pays concernées et des instances internationales ne s’étaient pas eux-aussi investis dans leur domaine de compétence et d’action pour soutenir cette lutte : en particulier côté français M. Chatin, responsable du Bureau d’Entraide Judiciaire, Madame Georgina Dufoix, la Ministre des Affaires Sociales et côté algérien, le Ministre Khediri.
Le Président François Mitterand a manifesté publiquement, maintes fois, son intérêt pour cette cause :
En février 1987, avant le départ des Mères pour Genève, le Président Mitterand reçoit les Mères,
En juin 1987, le Président Mitterand rend visite aux Mères qui font la grève de la faim à Orly,
En 1989, le Président Mitterand décore de l’Ordre national du Mérite (rang d’officier) Annie Sugier au titre de son action pour les Mères d’Alger
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