Violences sexuelles en Egypte : J'ai pensé que j'allais mourir
Par Sonia Dridi - Le 24/06/2013
© Gianluigi Guercia / AFP
Alors qu'elle manifestait place Tahrir en novembre 2012, Yasmine El Baramawy a été sauvagement violée par un groupe d'hommes. Elle vient de témoigner à la télévision égyptienne, laissant le pays sous le choc. Interview.
Un calvaire qui a duré plus d’une heure
Boucles noires, regard déterminé, Yasmine El Baramawy, 30 ans, a osé parler pour dénoncer l’inacceptable. Cette musicienne, révolutionnaire convaincue, a été violée en novembre dernier en marge des affrontements sur la place Tahrir au Caire. Un calvaire qui a duré plus d’une heure. Le harcèlement sexuel n’est pas nouveau en Égypte mais, depuis la révolution, de nombreuses femmes ont été sauvagement attaquées. Yasmine, révoltée par l’indifférence de la société et la passivité des autorités, a courageusement raconté son drame à la télévision égyptienne. Rencontre avec une combattante en lutte contre un fléau tristement répandu.
« J’étais perdue, je ne pouvais faire confiance à personne »
ELLE. Pouvez-vous nous raconter ce qu’il s’est passé le 23 novembre 2012 ?Yasmine El Baramawy. Il était environ 18 heures. Je participais à une manifestation contre le projet de Constitution des islamistes et je me suis approchée du lieu des heurts. D’un coup, des hommes ont couru vers moi. Ils ont déchiré au couteau mon T-shirt et mon soutien-gorge, je suis tombée le visage en avant. Ils ont commencé à faire tout ce qu’ils voulaient avec mon corps, à le violer. Ils m’ont traînée dans une rue où il y avait des déchets, des excréments, on est tombés dedans et j’en avais partout, sur mes cheveux, ma bouche. Ils ont baissé mon pantalon jusqu’aux genoux. On aurait dit qu’ils cherchaient un trésor dans mon vagin. J’étais vraiment surprise car certains disaient « c’est ma sœur, ne lui faites pas de mal ! » alors qu’ils avaient leurs mains à l’intérieur de moi. J’étais perdue, je ne pouvais faire confiance à personne.
ELLE. Vous avez tenté de vous défendre, face à quelque 200 hommes…Yasmine El Baramawy. J’étais au sol, un gars m’a attrapé les seins et a commencé à m’embrasser partout sur le visage. Lorsqu’il a atteint ma bouche, il a mis sa langue dedans, alors j’ai mordu. J’ai aussi donné des coups, j’essayais d’atteindre leurs testicules. Je pensais que j’allais m’évanouir ou même mourir mais, en fait, j’étais tout à fait consciente. A un moment, une voiture est arrivée, des hommes m’ont hissée sur le capot, je criais « couvrez-moi ! » mais ils se sont mis à me toucher, eux aussi. J’ai réalisé qu’ils me kidnappaient, ils voulaient me violer avec leur sexe, certains m’ont dit à l’oreille « on va te baiser ». Mais la voiture est passée par le quartier d’Abdine et des habitants m’ont sauvée.
« Je ne pouvais pas vivre en restant silencieuse »
ELLE. Qu’avez-vous ressenti après l’attaque ?Yasmine El Baramawy. Je voulais crier, me venger. Je n’étais pas triste, j’étais en colère. J’ai réalisé après seulement tout ce qui m’était arrivé. Mon anus saignait, je suis allée chez le médecin et j’ai compris que j’avais été violée avec un couteau. Pendant l’attaque, j’avais perdu toute sensation. Je n’aurais jamais imaginé qu’un homme puisse mettre un couteau dans une fille.
ELLE. Vous avez raconté votre agression à la télévision égyptienne, pourquoi ?Yasmine El Baramawy. Je voulais dire à chaque homme qui m’a touchée qu’il est un criminel. Et à la société, qu’elle est hypocrite. On dit toujours qu’on est, qu’on a une morale... Mais ce n’est pas vrai, on fait semblant. Nous avons des problèmes et nous devons l’admettre pour pouvoir les résoudre.
ELLE. Quelles ont été les réactions de vos proches par rapport à cette interview télévisée ?Yasmine El Baramawy. Ma mère et mon frère m’ont toujours soutenue. Mais mon père m’a demandé de ne pas parler, il voulait m’aider à quitter le pays. Il avait très peur du jugement de la société. Pour lui, c’était un scandale. Mais il n’a pas pu m’arrêter. Je ne pouvais pas vivre en restant silencieuse. Maintenant, ils sont tous fiers de moi. Quand mon père a vu tous ces gens me soutenir, ça lui a donné de l’espoir.
ELLE. Qui est à l’origine de votre attaque, selon vous ?Yasmine El Baramawy. Je pense qu’il y a des bandes organisées qui font ça de façon très professionnelle, pour créer le chaos. Je crois que les partis islamistes sont derrière tout cela. Que ce soit les Frères musulmans ou les salafistes ou je ne sais qui ! Ils veulent que les gens aient peur d’aller manifester et les femmes sont la cible la plus facile.
« Désormais je peux avoir une influence sur le droit des femmes »
ELLE. Vous avez porté plainte, une démarche rare chez les victimes d’agression sexuelle en Égypte...Yasmine El Baramawy. Je veux regagner mes droits et obliger le système à faire une loi contre ces crimes. Ils sont mal définis. S’il n’y a pas de pénétration avec sexe, ce n’est pas considéré comme un viol.
ELLE. Vous avez l’impression que la parole des femmes se libère, depuis la révolution ?Yasmine El Baramawy. Oui, par exemple, sur Facebook, je vois des filles partager leurs histoires sur le harcèlement sexuel. Avant, elles ne racontaient pas ce genre de choses. Maintenant, elles prennent même des photos de l’agresseur pour le dénoncer. Les femmes sont davantage encouragées à parler.
ELLE. Quels sont vos projets aujourd’hui ?Yasmine El Baramawy. Je ne l’ai pas choisi, mais désormais je peux avoir une influence sur le droit des femmes. On me cite en exemple. J’ai un rôle et je vais le remplir jusqu’à ce que je voie des changements dans la société. Mais mon rêve a toujours été la musique [elle joue de l’oud, instrument de musique orientale, ndlr], je vais bientôt sortir un album. Et je vais me marier !
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