Historique de l’action de la LDIF
- Il y eut d’abord les « beurettes ».
Dès le début des années 70, alors que la LDIF n’était qu’une section de la Ligue du droit des femmes, le noyau de militantes qui l’animait s’est préoccupé de la situation d’oppression particulièrement grave dont étaient victimes celles qu’on appelait alors les « beurettes ».
A cette époque, entre la montée du parti d’extrême droite de Jean-Marie le Pen et la réplique par les « potes » de SOS Racisme avec le soutien du parti socialiste, il n’y avait pas grand monde pour s’intéresser à la situation des femmes issues de l’immigration vivant sur le territoire français. Pourtant, avec le regroupement familial, la présence de femmes venues du Maghreb et d’Afrique Noire se traduisait par un véritable choc des cultures et des droits.
La Ligue fût l’une des premières associations à dénoncer la pratique de l’excision en France: le déclencheur sera un « fait divers » tragique, la mort d’un bébé, une petite fille noire nommée Bobo, des suites d’une excision ( cf rubrique du même nom et site de la CAMS). De même la Ligue fût la première à remettre en cause la situation de grande précarité des jeunes filles de la deuxième génération que leur famille renvoyait dans leur pays d’origine pour être mariées contre leur gré : le déclencheur sera l’ « affaire Leïla Chalabi », une jeune fille de 20, enlevée par son frère et son père, dans la cours du Lycée de Meaux où elle suivait en tant qu’interne des cours de BTS de secrétaire de direction.
La Ligue marqua aussi de façon très claire son opposition à ceux qui voulurent dénoncer le comportement du proviseur du Lycée de Creil qui avait eu le courage d’exclure des jeunes filles portant le voile dans l’enceinte de l’établissement considérant qu’il s’agissait d’un signe de soumission et de ségrégation des femmes et non pas un simple signe religieux, qui en tout état de cause n’avait pas sa place dans un lieu public.
Pour bien comprendre les analogies mais aussi les grandes différences entre la situation des jeunes filles des cités aujourd’hui et celle que l’on pouvait constater dans les années 80, il faut regarder de plus près l’affaire Leïla Chalabi. Nous sommes en 1982, lorsque l’enlèvement se produit, le proviseur et le professeur d’allemand tentent de s’interposer, mais ils sont menacés par le proviseur et le professeur d’allemand. Le jour-même les camarades de Leïla, qui était très appréciée et était déléguée de sa classe, se constituent en comité de soutien, mobilisent les professeurs et la presse. L’affaire prend très vite de l’ampleur, c’est ainsi que je prends contact avec le Lycée et que je me rends à Meaux pour apporter le soutien de la Ligue. Sur place, je rencontre les camarades de classe de Leïla qui se montrent très solidaires ainsi que les professeurs dont certains sont d’origine algérienne et font partie d’un réseau qui dénonce en Algérie le projet de statut personnel qui renforce la situation d’inégalité des femmes ( « front du refus »).Voyant que malgré leur indignation, tant les responsables du Lycée que les autorités françaises ne feront rien, nous comprenons qu’in faut réussir à empêcher la sortie de Leïla du territoire français. Ce sont en effet les amis de la jeune fille qui ont reçu un courrier de celle-ci qui nous apprennent que Leïla est toujours en France, retenue enfermée chez sa sœur dans l’est de la France. Nous organisons un contre enlèvement, nous demandons à un professeur de nous accompagner car Leïla ne nous connaît pas. L’action se passe au mieux et grâce à un réseau d’amis, nous réussissons à cacher Leïla en région parisienne, à l’inscrire dans un autre Lycée – avec quelques difficultés car nous n’avons pas ses papiers, or elle est née en Algérie…- nous la logeons, et elle réussit à passer brillamment ses examens !
Ainsi, à la différence de ce qui se passe aujourd’hui dans les cités, Leïla a bénéficié de la solidarité de toute sa classe : garçons et filles.C’était sa famille qui refusait son émancipation : crainte de la voir se droguer, courir les garçons, etc. Aujourd’hui la fracture ne passe pas entre les générations mais entre les garçons et les filles, parfois avec des parents plus ouverts à une bonne intégration de leurs filles dans la soicété, que les grands frères.
-Un point de vue solidaire vis-à-vis des femmes d’ici et d’ailleurs.
Dans les années 80, ce « choc » des cultures et des droits se manifestait aussi lorsqu’il y avait des mariages mixtes. C’est pourquoi, parallèlement à ces actions en direction des « beurettes », la Ligue menait une bataille acharnée sur la question du droit des mères françaises à l’égard de leurs enfants issus d’une union avec des ressortissants de pays d’Afrique du Nord, principalement en Algérie ( cf rubrique « mères d’Alger »). Cette lutte qui devait durer de 1984 à 1988, et même au-delà pour assurer la mise en place de la convention franco-algérienne obtenue par la Ligue, concernait en fait également les femmes immigrées qui vivaient la même situation en cas d’enlèvement de leurs enfants pas leur conjoint ou ancien conjoint.
A l’époque, nous ne pensions pas qu’en dehors de ces cas particuliers il y aurait une dégradation du droit des femmes sur le territoire français lui-même. C’est pourquoi nous avions pour l’essentiel centré notre action sur la solidarité entre femmes d’Europe et du Maghreb (recherche de soutien financier, séminaires sur la comparaison des statuts personnels,..).
Lorsque nous avons lancé en 1992, notre action sur le Jeux Olympiques pour dénoncer l’absence de femmes des délégations des pays islamiques et africains principalement ( cf cette rubrique de la LDIF), nous étions toujours dans cette logique de solidarité internationale, sans penser que l’exclusion des filles des clubs sportifs allait aussi se produire sur le propre territoire français avec la dégradation des relations entre les garçons et les filles ! Nous avions concentré nos attaques contre les pays qui prônaient un modèle de ségrégation entre les hommes et les femmes : d’abord l’Iran, puis l’Afghanistan et l’Arabie Saudite. Ainsi avant le Jeux Olympiques de Sydney, en 2000 nous nous sommes rendues au Tadjikistan pour élaborer, dans le cadre du mouvement « la marche des femmes », une charte des femmes afghanes alors croupissant sous loi des talibans. Après le 11 septembre 2001, nous avons participé à la première conférence sur les femmes afghanes dans Kaboul, libéré de la présence des talibans.
Mais qui aurait pu penser que l’impensable se produirait un jour en France ?
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