Créteil: agressée parce que juive et violée parce que femme. Ce sont des crimes politiques.
Par Anne-Cécile Mailfert
Porteparole Osez Le Féminisme
LE PLUS. Lundi 1er décembre, une femme de 19 ans et son compagnon de 21 ans ont été agressés à Créteil parce qu'ils étaient juifs. Les agresseurs ont préjugé qu'ils avaient de l'argent. Et la femme a eu le malheur d'être une femme, car elle a subi un viol. Pour notre contributrice Anne-Cécile Mailfert, porte-parole d'Osez le féminisme, une idéologie de la haine est la cause à chaque fois.
Édité par Rémy Demichelis
Bernard Cazeneuve s'est rendu à Créteil ce dimanche 7 décembre (E. LICHTFELD/SIPA).
Dimanche, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a appelé à "faire de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme une cause nationale", lors d'un rassemblement à Créteil pour commémorer la double agression antisémite qui avait eu lieu quelques jours auparavant.
Il a ajouté "le crime qui a eu lieu ici n'est pas un fait divers". Il a raison.
Il semble avoir compris que l’antisémitisme ou le racisme sont des idéologies de haine qui mènent à l’agression, qui mènent au meurtre. Il semble avoir compris que ces phénomènes terrorisent toutes les personnes de confession juive ou toutes les personnes dont la couleur de peau ne plaît pas aux racistes. Il a compris qu’il fallait apporter des réponses politiques à des crimes qui ne sont pas des faits divers mais bien des crimes politiques.
Le viol pour terroriser
Ce que Bernard Cazeneuve ne semble pas comprendre, ce que les médias ne semblent pas comprendre, c’est qu’une seconde composante essentielle existe dans la motivation de ce terrible crime à Créteil : le machisme. Deux personnes de confession juives ont été attaquées, mais la nature des crimes commis à leur encontre a été différente en fonction de leur sexe : seule la femme a été violée.
Parce qu’elle est juive : elle a été attaquée.
Parce qu’elle est femme : elle a été violée.
Parce que dans un système machiste une femme est pensée comme "propriété" de son compagnon ou de sa communauté, pour les atteindre tous trois et les terroriser au plus profond d’eux-mêmes, elle a été violée.
Les femmes adaptent constamment leur comportement
Le viol, tout comme le meurtre machiste, est un crime motivé par une idéologie de haine. Le machisme impacte toutes les autres femmes dans la société : il les terrorise.
Grandir femme dans une société machiste, c’est apprendre qu’on peut être violée ou tuée par un conjoint violent ou un inconnu, dans la rue, au travail ou chez soi. Les femmes adaptent constamment leur comportement au fait qu’elles se savent être les cibles potentielles d’hommes machistes. Tout comme les personnes de confession juive, dans le climat nauséabond qui existe aujourd’hui en France, peuvent légitimement penser qu’elles sont les cibles potentielles de personnes antisémites, les femmes ont intégré depuis leur plus jeune âge qu’elles évoluent dans une société qui hait les femmes.
Nous avons attendu bien trop longtemps
Lorsque Bernard Cazeneuve explique que cette double agression antisémite n’est pas un fait divers, nous applaudissons.
Oui, il faut comprendre les actes motivés par des idéologies de haine comme des crimes politiques. Oui, l’antisémitisme n’est pas le fait de fous furieux, mais le fait d’hommes motivés par une idéologie de haine.
Lorsqu’il dit "derrière ce crime, il y a un mal qui ronge la République et que nous devons combattre ensemble à tout prix" nous applaudissons.
Oui, il faut lutter contre le racisme et l’antisémitisme ! Oui, il faut en faire une cause nationale : absolument ! Alors que ces crimes sont en pleine explosion, nous avons attendu bien trop longtemps : allons-y tout de suite et franchement !
Pour la reconnaissance légale du féminicide
Mais, lorsque Bernard Cazeneuve et les médias restent aveugles à l’autre motivation des crimes de haine, le machisme, nous sommes en colère. En taisant le caractère machiste de l’agression antisémite dont a été victime cette jeune femme de confession juive, lui et les médias le traitent comme un effet secondaire, comme un simple fait divers dans un fait politique.
Les femmes ne reçoivent aucune réponse politique convenable à ces crimes politiques : dans notre Code pénal, il n’existe aucun outil juridique aujourd’hui qui permet de sanctionner le caractère machiste des crimes.
Que ce soient des crimes individuels ou des crimes de masse, les féminicides sont totalement ignorés, au mieux banalisés et traités comme de véritables faits divers. C’est pour cela qu’Osez le féminisme ! se bat pour la reconnaissance légale du féminicide.
Le machisme "Grande cause nationale"
Pourquoi Bernard Cazeneuve ou les journalistes qui ont traité cette affaire ne peuvent-ils pas comprendre que les discriminations ne sont pas concurrentes mais s’additionnent ? Que les idéologies de haine convergent et ne s’annulent pas ? Que le caractère machiste de cette agression n’invisibilise pas son caractère antisémite ?
Le machisme recèle d’outils de violence terriblement efficaces utilisés contre les femmes issues de minorités, les femmes de confession juive, les femmes de confession musulmane pour les atteindre doublement.
Racisme, antisémitisme ou machisme : on ne peut lutter séparément contre l’un ou l’autre de ces systèmes d’oppression. On doit viser à les détruire conjointement.
À l’instar du racisme et de l’antisémitisme, la lutte contre le machisme devrait donc également être déclarée "Grande cause nationale". Pour paraphraser Bernard Cazeneuve, il est temps que nos responsables combattent à tout prix, et ensemble, toutes les idéologies de haine qui rongent la République.
Lien : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1286808-creteil-agressee-parce-que-juive-et-violee-parce-que-femme-ce-sont-des-crimes-politiques.html |