Juger les Femen pour « exhibition sexuelle », c’est pervertir la loi
Trois membres du collectif Femen doivent comparaître pour avoir manifesté lors du procès du Carlton, au cours duquel ceux qui ont reconnu avoir eu des pratiques sexuelles violentes à l’encontre de prostituées, ont été relaxés.
Monsieur le procureur de la République, le 24 février, trois militantes du mouvement Femen comparaîtront, à la suite de votre décision, devant le tribunal de Lille pour répondre de l’accusation d’« exhibition sexuelle ». Le 10 février 2015, elles avaient manifesté le torse recouvert de slogans contre la prostitution et les violences sexuelles faites aux femmes devant le palais de justice de Lille, à l’occasion du procès dit «du Carlton».
Au cours de ce procès pour proxénétisme, ceux qui ont reconnu avoir eu des pratiques sexuelles violentes à l’encontre de femmes prostituées ont été relaxés. Et ce sont finalement les militantes venues dénoncer ces violences qui sont poursuivies sur le fondement inique d’une prétendue « agression sexuelle ». Les femmes seraient-elles encore et toujours coupables et jamais victimes ?
C’est grâce à l’engagement résolu des mouvements des femmes au cours des dernières décennies que la notion d’agression sexuelle, en tant qu’atteinte à l’intégrité de la personne humaine, a été inscrite dans notre droit et que les violences contre les femmes sont aujourd'hui identifiées et poursuivies.
Pourtant, la France est bien loin de les avoir éradiquées comme le montrent les dernières statistiques qui constatent une augmentation constante des viols et des violences faites aux femmes, ainsi que l’essor de l’exploitation sexuelle de leur corps par la prostitution. Nous sommes convaincues que de nouvelles avancées démocratiques sont nécessaires dans la loi et dans son application pour lutter efficacement contre ces crimes qui brisent chaque année des milliers de vies.
Les trois Femen manifestaient dans ce but, et c’est un comble qu’elles doivent comparaître pour délit d’«exhibition sexuelle» encourant ainsi une condamnation qui ferait de ces militantes politiques – et le caractère politique de chacune de leurs manifestations est unanimement reconnu – des «délinquantes sexuelles» frappées d’interdictions professionnelles !
Une telle poursuite sous une telle qualification défigure et dégrade notre combat. Elle pervertit l’esprit de la loi en la retournant de manière inadmissible contre des jeunes femmes courageuses qui ne font que s’insurger contre une situation inacceptable.
En tant que membres de la société, dont vous êtes le représentant, nous protestons avec force contre les poursuites engagées à l’encontre des militantes Femen. Nous vous demandons de les abandonner purement et simplement afin de mettre un terme à une injustice notoire et à une dangereuse régression démocratique, et d’envoyer ainsi un message fort d’égalité et de justice sociale à l’ensemble de notre République.
Premier(e)s signataires :
ET, Causette, Centre Évolutif Lilith, Collectif Debout(Nancy), Collectif féministe contre le viol, Collectif libertaire Anti-Sexiste, Confédération paysanne (secrétariat national), Coordination française pour le Lobby Européen des Femmes (CLEF), Couserans palestine, Elles Aussi, Encore Féministes, FemenInternational, Femmes sans voile d’Aubervilliers, Femmes Solidaires, La Barbe, Le Mouvement du Nid, les Associations Familiales Laïques (Bas Rhin), Les Chiennes de Garde, Les Effrontées, Ligue du Droit International des Femmes (LDIF), Maison Des Femmes (Paris, Lille), Osez Le Féminisme (OLF), Parole Citoyenne, Planning Familial (et PF 85), Solidarité Femmes (Belfort), Union des familles laïques (UFAL), Zéro Macho…
Tribune publiée sur le site de Libération, le 22 février 2016
Cette lettre est à l’initiative de l’Alliance des femmes pour la démocratie (AFD) et du mouvement Femen.
Photo : Pascal Rossignol. Reuters
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