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Chroniques Non, je n’irai pas à Rio !

Vous pensez sans doute que je vais hurler avec les loups, que je vais brandir des slogans type : « tous pourris ! » à cause des scandales de dopage, de corruption, à cause aussi des manifestations anti-Jeux du petit peuple de Rio dans un pays en pleine crise … Eh bien, pas du tout.

Les JO c’est comme toutes les sociétés humaines, on en fait ce qu’on veut qu’elles deviennent. Si, nous les femmes, nous avions attendu que le monde soit « propre » pour y réclamer une juste place nous serions encore en train d’attendre devant la porte.

Pour nous féministes comme pour tous ceux et celles qui combattent les oppressions, le Stade Olympique est un espace particulier, le seul lieu au monde où une règle unique – la Charte Olympique – s’applique indépendamment des différences dans le respect des principes « éthiques fondamentaux universels ». Parmi ceux-ci : le rejet de toute discrimination y compris de sexe (principe n°6), un engagement à « mettre en œuvre le principe d’égalité entre les hommes et les femmes », et enfin, une forme de neutralité plus exigeante même que la laïcité, qui s’exprime en ces termes « aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ».

Naturellement la réalité est différente (1). Mais au moins on a un référentiel pour pointer les contrevenants...

Rio, les Jeux de la parité, vraiment ?

A Rio il y aura 4700 athlètes féminines soit une participation de 45% contre 44,2 % à Londres. Autrement dit, il y aura tout de même environ 1000 athlètes masculins de plus que d’athlètes féminines. Une paille, quoi.
On me rétorquera que depuis Londres 2012, avec l’inscription au programme de la boxe féminine, les femmes ont accès aux 26 sports olympiques. Certes, mais le diable se cache dans les « détails » : sur un total de 306 médailles à gagner, les hommes en auront 25 de plus que les femmes (161 médailles pour les hommes, 136 pour les femmes et 9 médailles mixtes), car il y a plus d’événements pour les hommes que pour les femmes (2) …

On me retoquera aussi qu’on part de loin si on se souvient que Coubertin, l’inventeur des JO modernes, avait opposé un refus catégorique à la participation des femmes aux JO. Tout juste pouvaient-elles concourir dans des disciplines considérées alors comme marginales à l’Olympisme : le golf, la voile, le tennis. Il faudra attendre 1928, alors que l’irascible baron a quitté ses fonctions, et grâce au combat d’une française, Alice Milliat (3), pour que les femmes soient autorisées à concourir en athlétisme. Mais attention, dans cinq disciplines seulement. Alors vous pensez, huit décennies plus tard, avoir accès à toutes les disciplines, c’est le Nirvana !

Allez encore un petit effort supplémentaire et on va bientôt arriver à la parité… ce sont toujours les derniers mètres, en l’occurrence les derniers %, qui sont les plus durs.

Mais le pire est ailleurs : c’est la ségrégation fondée sur le sexe.

(L’équipe iranienne en 35 ans)

Deux champions en la matière : l’Iran et l’Arabie Saoudite, les deux seuls pays au monde qui, sur leur territoire, interdisent à toutes les femmes d’entrer dans les stades.

La République islamique d’Iran n’hésite pas pour autant à présenter son système sportif ségrégationniste comme « un modèle pour les femmes libres du monde » (4). Concrètement, cela veut dire des conditions de pratique hors du regard du public, des Jeux séparés (« Jeux Islamiques de la Solidarité »), et un lobbying effréné – mais couronné de succès – pour que des sportives iraniennes puissent concourir dans des compétions internationales en portant l’uniforme islamique de rigueur, couvrant tout leur corps (oreille et cou compris, à l’exception du visage), au mépris des règlements sportifs et de la Charte Olympique citée plus haut.

L’Arabie Saoudite, dont le cadet des soucis est d’apparaître progressiste en ce qui concerne les droits des femmes, affiche sans vergogne l’interdiction du sport pour les filles dans les écoles et collèges publics. Le CIO avait crié victoire, aux JO de Londres lorsque l’Arabie Saoudite avait enfin accepté d’envoyer des femmes. C’était passer sous silence les couleuvres qu’avait dû avaler le président Jacques Rogge en acceptant les trois conditions posées par l’Arabie Saoudite : la non mixité, le port de l’uniforme islamique, la présence permanente des gardiens mâles de ces jeunes femmes. Celles-ci n’étaient même pas du pays mais de la diaspora saoudienne.

L’Afrique du Sud avait été exclue de la famille Olympique pendant trente ans pour cause d’apartheid racial. L’apartheid sexuel ne mérite-il pas le même traitement ?

Voilà pourquoi nous avons jeté la Charte dans la Tamise.

Le CIO dont la mission principale est de faire respecter les termes de sa Charte dispose des outils nécessaires pour sanctionner ces pays. Mais il préfère jouer la carte de la « tolérance » quand il s’agit des femmes. Après tout, ce sont « leurs femmes ! ».

Voilà pourquoi, à Londres, en juillet 2012, à la veille de la cérémonie d’ouverture, sous le chaud soleil d’été, nous avons placé la Charte Olympique, dans un petit cercueil de carton noir, recouvert de fleurs. Au cours d’une cérémonie festive, au son d’un orchestre de jazz style Nouvelle Orléans, nous l’avons jetée dans la Tamise. Une façon de dire que le CIO avait trahi ses propres principes.

Inutile donc d’aller à Rio pour voir si le CIO s’est décidé à l’appliquer. J’ai déjà ma réponse.

http://www.50-50magazine.fr/
 
Annie Sugier 50-50 magazine

Co-auteure avec Linda Weil-Curiel de « Sport : glissement vers l’abandon de l’universel … à qui la faute ? » (ouvrage à paraitre).

1) Brochure de la LDIF et de la CLEF « JO de Rio 2016 : 7 impératifs- Appliquez la Charte Olympique ! » pdf/sport/RIO-Brochure-JO-2016.pdf
2) Les Sportives N°2 juillet, aout, septembre 2016
3) Drevon (André), Alice Milliat, la pasionaria du sport féminin, Paris, Vuibert, 2005
4) Discours d’ouverture des Jeux Islamiques de la Solidarité, Téhéran 1993 (« The First meeting » an illustrated report, publication officielle).

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