Hommage à Kate Millett
Kate Millett est décédée à Paris le 6 septembre dernier.
« En manière d’hommage à cette grande féministe qu’elle a connue et appréciée, Yvette Roudy, notre présidente d’honneur, me fait parvenir le texte ci-joint, dans lequel elle réunit Kate Millett et Colette Audry, une autre grande féministe disparue (en 1990).
C’est un très beau texte. Émouvant, qui témoigne aussi de la force de l’amitié des femmes entre elles »
(Geneviève Couraud, président de l’Assemblée des Femmes).
Texte d'Yvette Roudy :
J’ai le souvenir d’avoir passé toute une journée dans la ferme de Kate Millett au Nord de New York, un endroit très particulier au bord d’un lac où l’on se baignait et où elle accueillait des femmes artistes. Elle m’avait expliqué que les travaux de rénovation étaient l’œuvre des femmes elles-mêmes qui puisaient leurs connaissances manuelles dans… les livres. C’est ainsi qu’elles s’improvisaient menuisières, plombières, charpentières, terrassières. La ferme avait ainsi un aspect inachevé mais bruissait des travaux des unes et des autres.
Je lui avais raconté l’aventure similaire de Colette Audry qui avait acheté sur l’île d’Oléron, l’Emerière, grâce au fruit de son Prix littéraire, une maison qui accueillait des féministes. On y découpait la journée en tranches : travail intellectuel, travaux manuels, et baignades joyeuses. On y prenait le déjeuner en commun et l’on se racontait ses rêves de la nuit (l’époque était freudienne et le film en vogue « la Maison du Dr Edwards »). A tour de rôle on était de cuisine et chacun devait verser au début de la semaine une légère participation.
Dans la cuisine, on pouvait consulter une charte humoristique des règles de la maison.
Le système était copié sur le principe des phalanstères, cette utopie des premiers socialistes français. J’y avais passé de très agréables vacances, invitée par Colette avec qui je traduisais alors « La femme mystifiée » de Betty Friedan.
Avant de découvrir la ferme de Kate, j’avais passé une journée à New-York où elle occupait un très vaste et très étrange appartement tout d’une pièce où l’on passait de la cuisine au séjour, à la chambre à coucher... Kate m’avait cuisiné un délicieux steak qu’elle avait sorti d’un vieux réfrigérateur.
La ferme de Kate était censée vivre grâce à de savants calculs comme seules peuvent en faire des universitaires, en l’occurrence du commerce d’arbres de Noël qu’elles vendaient elles-mêmes en se postant aux angles des rues de New-York, pensant attirer les clients en proposant : « trees, trees ». Sauf que dès les premières années, elles connurent des fiascos retentissants et Kate a fini par se ruiner en tentant de maintenir sa ferme, tout comme Colette Audry d’ailleurs.
Mais elles nous laissent l’une et l’autre une œuvre féministe particulière, mal reconnue : plusieurs livres pour Colette Audry, dont « La Statue », et « La politique du Mâle » (Sexual politics) pour Kate. Je crois qu’elles ne se sont jamais rencontrées. Mais l’une et l’autre sont dans mon cœur. Pour toujours.
Yvette Roudy
(septembre 2017)
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