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Pakistan : un crime d’horreur

Trois sœurs qui n’avaient pas vingt ans sont mortes enterrées vives après d’horribles souffrances et au terme de deux jours de terreur. Leur mère et une tante qui avaient voulu les aider à s’enfuir vers le bourg voisin pour réaliser leur rêve, épouser un homme de leur choix, ont subi le même sort. Le massacre perpétré par les hommes de leur tribu, en application d’une décision de l’assemblée de notables de cette même tribu, a eu lieu dans les environ du village de Baba Kot, dans la province de Baloutchistan, au Sud-ouest du Pakistan.

Il fallait leur faire payer au prix fort un acte de désobéissance collectif qui risquait d’ébranler les fondements de cette société traditionnelle. Comme l’écrit Frédéric Bobin, dans un article remarquable paru dans Le Monde du 26 septembre « on leur promet une mort très spéciale, précédée d’un épouvantable supplice qui devra servir de leçon à toutes les autres jeunes filles de la communauté ».

Il faut se forcer à lire l’horreur de ce qu’elles ont subi, pour prendre la mesure de la haine des femmes - de leurs propres femmes dès lors qu’elles n’acceptent pas la place qui leur est assignée - qui parcourt de telles sociétés. C’est avec une pelleteuse munie d’une sorte de couteau géant que les cinq condamnée alignées sont abattues, que leurs chairs, leur os, leurs crânes sont broyés. On voit ainsi défiler devant nos yeux des images de guerre, les mêmes images que celles de ces films de la guerre 40 retrouvés dans les archives des nazis où l’on voyait des officiers aligner les juifs devant des tranchées fraîchement creusées où les corps encore chauds dégringolaient comme des mannequins désarticulés. Ici aussi la perversion des bourreaux dépasse l’imagination :

"La pelleteuse pousse les corps martyrisés dans la fosse, leur tombeau. Elles saignent abondamment mais, écrira plus tard la presse pakistanaise, elles n'avaient pas encore succombé à leurs blessures quand les tortionnaires ont commencé à les recouvrir de sable et de pierres" ( F. Bobin, Le Monde du 26 septembre 2008).

Y a-t-il une hiérarchie entre ces horreurs ?

Presque chaque jour à travers le monde la presse se fait l’écho d’attentats sanglants qui font des centaines de morts. Avec toujours le même scénario, un homme ou une femme qui se fait exploser au milieu de la foule ou qui lance son véhicule bourré d’explosifs contre une cible grouillante de monde. Ce sont les gouvernants et leurs alliés qui sont visés à travers le massacre des innocents. C’est la terreur qu’il faut installer pour déstabiliser les régimes honnis.

Mais à Baba Kot s’est déroulée une autre forme de terreur dont on parle beaucoup moins. Celle des « crimes d’honneur » dont les femmes sont la cible. Une façon de laisser entendre que leurs auteurs ont une excuse. Cette violence là gangrène la plupart des sociétés traditionnelles où l’honneur s’entend comme la soumission totale des femmes aux lois du clan masculin. Elle se manifeste aussi dans nos propres pays au sein de certaines communautés immigrées.

Non, il ne s’agit pas de simples faits divers. Ce sont des faits politiques, qui ont pour but d’imposer par la terreur un ordre d’un autre âge. Ils sont d’autant plus condamnables que ceux qui les accomplissent sont les propres pères, frères, oncles des femmes victimes de la condamnation à mort prononcée par le conseil des hommes de la tribu ou du village.

De cette tragédie du village de Baba Kot, naît pourtant une lueur d’espoir. D’abord parce qu’il nous révèle qu’un groupe de femmes de la même famille, soudé face aux hommes de la tribu, a osé s’opposer à des lois iniques.

Mais aussi, parce que toute une partie de la société civile au Pakistan –hommes et femmes- s’est mobilisée pour empêcher que la loi du silence ne fasse le jeu des tortionnaires de Baba Kot. C’est d’abord un journaliste local courageux, correspondant du quotidien « Jang » qui ose raconter l’histoire. Puis c’est un journaliste d’investigation du quotidien anglophone « The News » qui prend le relai. Les associations féministes s’en mêlent à leur tour. Mais les forces d’inertie sont énormes : la police ne bouge pas car des personnalités locales importantes sont impliquées, l’un des instigateurs du massacre serait le propre frère d’un ministre, affilié au parti du peuple Pakistanais (parti de clan de Butto).

C’est un rebondissement inattendu qui donnera à l’affaire une dimension nationale. La scène se passe au Sénat, le représentant du parti nationaliste de la région de Baloutchistan répondant à une interpellation d’une élue sur les conditions de la mort des cinq femmes, affirme sans vergogne son soutien à ces traditions….Scandale dans l’hémicycle. La télévision filme les échanges et c’est tout le pays qui découvre à la fois l’horreur de ce qui s’est passé à Baba Kot et la complicité des politiques.

A nous aujourd’hui et partout de méditer l’insulte faite à toutes les femmes par les paroles du représentant du Baloutchistan « Ce sont des traditions multiséculaires et je continuerai à les défendre ». Quel respect méritent les traditions basées sur la haine de tout un sexe ? Quand affirmera-t-on enfin que le label « tradition » légitime souvent le meurtre pur et simple ?
Aujourd’hui même en Afghanistan, la première femme policière vient d’être abattue par les talibans qui ont revendiqué son meurtre. Elle aussi avait décidé de refuser le sort qui lui était réservé par la tradition.

Annie Sugier

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