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Témoignage de Annie Sugier au procès de Fanny Truchelut

le 2 octobre 2007.

Je tiens d’abord à affirmer que je ne serais pas ici auprès de Fanny Truchelut, devant ce tribunal, si je n’étais pas convaincue que Fanny est tout le contraire de quelqu’un de raciste. Je l’ai rencontrée avant cette audience, nous avons longuement parlé de ce qui s’est passé en août de l’année 2006, lorsqu’elle a demandé à Mme Demiati de retirer son voile dans les parties communes du gîte. Je n’ai aucun doute sur le fait que c’est au nom du droit des femmes et de ce que représente le voile qu’elle a pris cette position que j’approuve.

Si je dis cela c’est en me basant sur mon expérience de présidente d’une association féministe. La Ligue du droit international des femmes a été créée par Simone de Beauvoir en 1983, en partant du constat que le droit des femmes évolue au gré des cultures, des religions, des zones géographiques, comme si c’était naturel et que la notion de droit universel ne s’appliquait pas aux femmes ! Notre objectif a donc été de lutter contre ce que l’on appelle le « relativisme culturel » et de promouvoir un droit universel s’appliquant enfin aussi aux femmes.

Le corollaire de cet aveuglement, c’est que la situation des femmes évolue lentement, et même parfois régresse. Au fond ce que l’on ne veut pas reconnaitre c’est un paradoxe fondamental : les hommes et les femmes sont faits pour s’aimer et pourtant l’oppression des femmes atteint parfois des degrés extrêmes . Pour ne pas affronter ce paradoxe on évite d’utiliser certains mots pour décrire la réalité :on dira querelle conjugale à la place femmes battues, tournantes au lieu de viol, excision au lieu de mutilation… Quand Sohane, cette jeune fille de 17 ans est morte brûlée vive à Vitry , la plaque en souvenir de sa mort ne portait pas la terrible mention « morte brûlée vive », comme si cela pouvait effacer la réalité de ses souffrances.

Et bien pour le voile il en va de même.

On ne veut pas voir ce qu’il représente : la ségrégation entre les hommes et les femmes. Il réactualise l’une des raisons premières de l’oppression des femmes que l’on retrouve bien avant l’arrivée de l’Islam : le corps des femmes est tout entier assimilé à un sexe et représente une source de désordre pour les hommes qui le voient. Elles ne sont admises à circuler dans l’espace public que si elles sont invisibles .Porter le voile c’est admettre ce diktat humiliant. En outre, le voile ne vient jamais seul. Car, quand il y a ségrégation entre deux groupes, il y en a toujours un qui est « discriminé » par rapport à l’autre. Partout dans les pays où cette pratique est imposée, le statut des femmes est inférieur à celui des hommes, même si les femmes font des études et ont des diplômes : il n’est que de citer le cas deux pays, l’Iran et l’Arabie Saoudite.

Si le voile était simplement un signe religieux comment expliquer que tant de femmes musulmanes en Algérie par exemple aient préféré mourir plutôt que de le porter ? Comment expliquer que la première féministe Egyptienne ait symboliquement manifesté sa volonté de libération en arrachant son voile ? Non, le voile ne vient jamais seul, ni ici ni ailleurs et il faut savoir démonter cette logique infernale. Pour cela je prendrai deux exemples. L’un tragique, l’autre qui vous semblera plus anodin mais qui révèle bien le mécanisme que je veux dénoncer.

Le premier nous touche directement, il s’agit de ce qui se passe dans les cités. Lorsque nous avons été auditionnées par la Commission parlementaire sur la laïcité présidée par Jean-Louis Debré, alors président de l’Assemblée nationale, Kahina Benziane, la sœur de Sohane, qui faisait partie de la délégation de la Ligue du Droit International des femmes, a déclaré « certains me disent que si ma sœur avait porté le voile rien ne lui serait arrivé, or je pense que ce n’est pas le voile qui doit protéger les jeunes filles des cités mais les lois de la République ».

Ainsi, le voile sépare aussi les femmes entre elles. Les femmes bien, celles que l’on respecte, et les autres, considérées en danger, voire considérées comme des putains.

Le second exemple concerne le sport, le « langage universel par excellence » comme le qualifie la charte de l’Unesco. Or cette universalité ne s’applique pas à toutes les femmes puisque, aux Jeux Olympiques, les pays islamiques excluent les femmes- ou les confinent dans des disciplines dans les quelles elles portent le voile. Cela en contradiction avec la charte olympique qui précise que toutes les formes de discriminations sont interdites qu’elles soient de race, de religion, de sexe ou d’ethnie. Ces mêmes pays organisent des jeux séparés pour les femmes, des jeux de deuxième ordre qui signent la ségrégation institutionnalisée. Ces jeux séparés que la presse ne peut photographier, sauf au moment des cérémonies d’ouverture ou de la clôture, sont comme le disait une athlète marocaine médaillée d’or, « le meilleur moyen de tuer le sport féminin ». Ces jeux justifient les menaces de mort contre les sportives qui osent concourir dans les vrais jeux Olympiques et s’entraîner jambes nues comme le fît l’Algérienne Hassiba Boulmerka. Cela ne se passe pas seulement « ailleurs »! En France, et nous revoici dans les cités, un rapport officiel commandé par le précédent ministre des sports montre que, le nombre de jeunes filles d’origine maghrébine participant aux clubs sportifs décroît de façon spectaculaire.

C’est tout cela qui nous remonte à l’esprit lorsque nous voyons une femme voilée. Ce voile qui divise, ce voile qui humilie, ce voile qui nous fait régresser, est une injure à celles qui se sont battues pour les valeurs fondamentales de la démocratie : l’égalité et le mixité.

Ce que je vous demande c’est de montrer que vous savez décrypter le sens d’un symbole qui touche les femmes comme vous sauriez le faire pour l’étoile jaune. On ne peut pas plus longtemps en nier la portée du voile sur le droit des femmes ici et ailleurs.


Annie Sugier,

Présidente de la LDIF

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6 place Saint Germain des Près 75005 PARIS France