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Les agressions sexuelles existent aussi dans le sport

Deux sociologues et un médecin reprochent à la ministre des sports de préférer protéger l'image de ce milieu plutôt que les nombreuses victimes.

depuis l'affaire Weinstein, la parole de nombreuses femmes victimes de violences et de harcèlement sexuels s'est libérée, faisant des deux mois qui viennent de s'écouler un "moment historique", comme l'ont souligné l'anthropologue Françoise Héritier et la philosophe Geneviève Fraisse.
Depuis mi-octobre en effet, les nombreux témoignages montrent que tous les domaines de la vie sociale sont concernés (le monde professionnel dans sa diversité, entreprises, administrations, le monde médiatique, éducatif, hospitalier…). Mais curieusement, on n'entend pas de parole venant du monde sportif.

Interrogée mi-novembre par plusieurs médias sur "l'immense silence" du monde du sport, la ministre des sports, Laura Flessel, considère que l'absence de scandale dans le sport serait la preuve du bon fonctionnement des outils de prévention mis en place et que la situation serait contrôlée. Aux faits qui sont mentionnés et aux questions des journalistes l'ex-championne d'escrime explique : "Je n'ai pas reçu de témoignages depuis cette affaire - Weinstein - en particulier. C'est sans doute que le travail de prévention paie". Elle l'assure : "Il n'y a pas d'omerta dans le sport" (L'Express du 7 novembre).

Pourtant, le sexisme sportif est connu depuis plus de trente ans. Il continue à bien se porter, de même que les violences "horizontales" exercées par les sportifs sur les sportives, bénéficiant "d'occasions" tels les bizutages, stages, déplacements, soirées arrosées d'après-match, etc. Les témoignages sont nombreux sur ce sexisme et le harcèlement sexuel, comme en atteste le site Paye ton sport, lancé en novembre 2016. L'existence de harcèlements, agressions, violences sexuelles (viols compris) est avérée dans le sport. - Selon l'étude commanditée par le ministère des sports en 2007, 31 % des sportives et des sportifs interrogés pensent ou déclarent avoir subi au moins une forme de violence ou de harcèlement.

Nombreux exemples
De plus, en France, durant ces dernières années, plusieurs scandales ont mis en lumière l'ampleur d'un phénomène aux composantes très souvent similaires à celles de l'affaire Weinstein. Les témoignages reçus par le Comité éthique et sport font état de violences verticales d'une personne qui use de son autorité et de son statut envers une autre, "subordonnée". Violences qui se produisent très souvent en lieux clos (chambres d'hôtel, vestiaires, dortoirs, pièces de rangement du matériel, cabinet médical ou de kinésithérapie…).

Et l'on ne saurait évidemment oublier les affaires rendues publiques par les livres de Catherine Moyon de Baecque (La Médaille et son revers, Albin Michel, 1997) et ce qu'a révélé Isabelle Demongeot en 2007 (Service volé, une championne rompt le silence, préfacé par Yannick Noah, Michel Laffon) et deux autres joueuses de tennis qui, en 2014, ont permis la condamnation pour viols de l'entraîneur Régis de Camaret.

Dans Le Monde du 2 décembre, Michel Guerrin s'interroge à propos du monde de la culture : "Pas de Weinstein chez nous ?" Il questionne le silence qui règne en France alors que les Etats-Unis, la Suède, l'Angleterre, l'Allemagne, l'Espagne… ont enregistré les nombreuses dénonciations de nombreuses agressions.

Il en va exactement de même pour le monde du sport… Comment comprendre ce durable silence en France alors qu'au plan international, de nombreux exemples sont rendus publics ? L'ex-gymnaste McKayla Maroney, double médaillée olympique à Londres en 2012, a révélé avoir été victime à 13 ans de "choses inutiles et dégoûtantes" prodiguées par le docteur Nassar, chargé de la sélection des Etats-Unis à cette époque. Plus de 130 femmes (dont plusieurs membres de l'équipe américaine de gymnastique) ont témoigné contre lui pour agressions sexuelles sur des jeunes filles dont certaines avaient moins de 13 ans ; son procès vient de déboucher sur une condamnation à soixante ans de prison (New York Times, 7 décembre).

En octobre déjà, la double championne olympique de Barcelone Tatiana Gutsu avait accusé un ancien coéquipier de l'équipe soviétique de l'avoir violée lorsqu'elle avait 15 ans, en 1991. En Suède, une ancienne footballeuse a révélé avoir été victime de harcèlement sexuel de la part de trois joueurs "très connus" de l'équipe nationale suédoise de football dans les années 2000.

Autant de faits qui démentent les déclarations de Laura Flessel. Selon elle, les violences sexuelles et sexistes dans le monde du sport s'arrêteraient à nos frontières ! Comment le croire, sinon que l'omerta et le déni s'imposent ? "Les gens doivent savoir que cela n'arrive pas qu'à Hollywood. Cela existe partout", dit la gymnaste McKayla Maroney témoignant sur les réseaux sociaux sous le mot-clé #metoo ("moi aussi"), qui appelle les femmes à raconter ce qu'elles ont vécu.

En France, les victimes gardent le silence, parce que des agressions et le harcèlement ne sont pas toujours perçus comme des violences ou parce qu'on les invite à se taire. Si le chef de l’État affirme faire des violences sexuelles et sexistes une grande cause nationale, et si sa ministre préfère protéger l'image du sport que les victimes, alors il est de notre devoir de créer les conditions pour que la parole se libère dans le sport aussi et que la réalité soit dite. L'initiative du Comité éthique et sport n'a pas suffi à ce jour pour que les témoignages soient ouvertement énoncés et entendus. Or, à la suite du cas Weinstein, ce sont les paroles de quelques-unes qui ont permis que beaucoup d'autres témoignent. Ce qui n'est pas dit n'existe pas. Il est donc grand temps que cesse cette omerta. Nous appelons de nos vœux une large campagne de témoignage. Et nous la soutiendrons.

Par VÉRONIQUE LEBAR, PHILIPPE LIOTARD et CATHERINE LOUVEAU

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