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Tuerie d'Isla Vista en Californie : c'est un crime sexiste, un féminicide, il faut le dire

Lire dans NO LE PLUS. Il y a quelques jours, en Californie, un jeune homme de 22 ans a tué sept personnes dans la ville d'Isla Vista, avant de se suicider. Dans des vidéos précédemment mises en ligne, il avait fait part de son souhait d'abattre des femmes, se sentant rejeté par la gent féminine. Pourquoi les médias n'ont-ils pas parlé de crime sexiste ? C'est la question que se pose Muriel Salmona, psychiatre.
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Tuerie d'Isla Vista en Californie : c'est un crime sexiste, un féminicide, il faut le dire
Publié le 28-05-2014 à 18h00 - Modifié à 19h57

Par Muriel Salmona
Psychiatre

LE PLUS. Il y a quelques jours, en Californie, un jeune homme de 22 ans a tué sept personnes dans la ville d'Isla Vista, avant de se suicider. Dans des vidéos précédemment mises en ligne, il avait fait part de son souhait d'abattre des femmes, se sentant rejeté par la gent féminine. Pourquoi les médias n'ont-ils pas parlé de crime sexiste ? C'est la question que se pose Muriel Salmona, psychiatre.

En une journée, le 24 mai, nous avons appris que deux tueries avaient été perpétrées à Isla Vista près de Santa Barbara et au Musée juif de Bruxelles, sept morts (dont le tueur) et plusieurs blessés pour la première, et quatre morts pour la deuxième.

Si pour Bruxelles le caractère raciste antisémite des assassinats a été tout de suite évoqué, et a provoqué de très nombreuses réactions d'indignation contre cet acte odieux, pour les assassinats d’Isla Vista, il a peu été question dans les médias de son caractère clairement misogyne, à part sur les réseaux sociaux comme Twitter où les internautes – surtout des femmes, mais aussi des hommes – ont vivement réagi avec le hashtag #yesallwomen, postant leurs propres expériences face à la haine des femmes.

Le tueur se considérait comme un "nice guy"

Pourtant même si Elliot Rodger, le tueur de 22 ans, n'a pas tué et blessé que des femmes, dans ses vidéos (que l'on peut voir sur internet) il avait clairement projeté de massacrer des filles. On l'entend tenir des propos haineux particulièrement choquants contre les femmes et annoncer qu'il voulait les détruire.

Pourquoi ? Parce qu'elles n'avaient pas voulu de lui et l'avaient rejeté alors qu’il se considérait comme un "nice guy", un gentil garçon qui, ne pouvant pas posséder des femmes décide de les abattre !

"Ce n'est pas juste. Vous les filles, n’avez jamais été attirés par moi, je ne sais pas pourquoi, mais je vous punirai tous pour cela. Si je ne peux pas vous avoir, les filles, je vous détruirai. (Rires) Je prendrai grand plaisir à vous abattre toutes ! Vous verrez finalement que je suis en vérité l’être supérieur. Le vrai mâle alpha."

Un "gentil garçon" qui considère les femmes comme devant lui appartenir, et être soumises à son désir, pour nourrir son sentiment de toute-puissance, et qui, si elles refusent d’entrer dans son scénario et de devenir ses petites amies, deviennent pour lui des objets de haine et de mépris au point de vouloir les massacrer. Un pauvre mâle se considérant dominant et frustré de ne pas avoir pu attirer dans ses filets des dominées.

À l’évidence c’était tout sauf un gentil garçon et les filles pouvaient en avoir peur, et ne pas avoir envie de sortir avec lui…

Oui, c'est un crime sexiste

Abattre des femmes et en blesser pour la seule raison qu’elles sont des femmes et sous le prétexte qu’elles n’ont pas été des objets sexuels dont il a pu disposer, constitue bien un crime sexiste, et définit ce qu’on nomme féminicide.

Tout comme lors du massacre par Marc Lépine de 14 femmes de l’école Polytechnique de Montréal en 1989 ; si des hommes avaient été blessés également, le projet du tueur était d’abattre un maximum de femmes parce qu’il ne supportait pas qu’elles aient accès à l’université et mettent ainsi en péril un monde de domination machiste auquel il adhérait, les femmes devant rester à leur place que le patriarcat leur assigne : épouse, mère, esclave domestique et sexuelle :

"Vous êtes des femmes, vous allez devenir des ingénieures. Vous n'êtes toutes qu'un tas de féministes, je hais les féministes."

Lépine avait écrit qu'il se considérait comme rationnel et qu'il tenait les féministes responsables d'avoir ruiné sa vie.

Les crimes que subissent les femmes parce qu'elles sont des femmes sont nombreux : homicides conjugaux, crimes sexuels, crimes d’honneur, meurtres de prostituées, avortement de fœtus féminins et infanticides des nouveaux-né de sexe féminin en Inde, en Chine. Beaucoup ne sont pas reconnus comme tels et sont présentés comme des drames familiaux, de la jalousie, de la séparations, de la folie ou de la frustration, comme des pulsions sexuelles irrésistibles, des atteintes à leur honneur ou à leur virilité, comme des réponses à des provocations de femmes trop séduisantes…

Ce discours de minimisation et de négation de la réalité montre l’incapacité de nommer précisément les violences, et de les replacer dans un cadre plus politique de violences et de crimes sexistes commis par des hommes envers des femmes. Camus nous avait prévenu : "Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur au monde."

La "folie" n'explique pas tout

Le tueur d’Isla Vista était-il fou comme le suggèrent beaucoup d'articles ou avait-il choisi de vivre dans la haine en étant animé par une volonté de détruire, et d’exterminer des femmes ?

On lui aurait diagnostiqué un syndrome d'Asperger, mais le syndrome d'Asperger, qui est un trouble du spectre autistique avec des altérations du fonctionnement social, n'est pas une forme sévère de trouble mental, et il n’est pas corrélé à des violences commises sur autrui.

Les troubles mentaux qui sont reconnus corrélés avec des violences sont la personnalité asociale et certaines formes de schizophrénie, mais même dans ces cas, la violence extrême ne s'explique pas uniquement par la "folie" : les personnes présentant des troubles mentaux subissent beaucoup plus de violences qu’elles n’en commettent, et ceux qui en commettent ont été exposés à des violences que ce soit en tant que victimes ou bien en tant que témoin, souvent dans l’enfance.

Nous ne connaissons pas ce que le tueur a vécu dans l’enfance, le fait qu’il soit issu d’une famille favorisée n’exclut absolument pas qu’il ait pu être maltraité. Ce que nous savons, c’est qu’il était en lien avec des sites masculinistes et PUA (Pick Up Artist, artistes de la drague) qui véhiculent une vision dégradée et haineuse des femmes, où les femmes sont considérées comme devant répondre aux besoins sexuels des hommes.

D’ailleurs depuis le massacre un de ces sites prédit que :

- "D'autres gens mourront si les hommes n'ont pas plus d'options sexuelles"

- "A moins que vous ne donniez aux hommes comme Rodger un moyen d’accéder à des relations sexuelles, en les encourageant à apprendre comment draguer, chercher une épouse Thai ou devenir client de la prostitution légale – trois choses que l’élite médiatique et culturelle américaine ne cesse d’attaquer avec véhémence, il est inévitable qu’un autre massacre se produise" !…

Des femmes qui se soumettent pour éviter d'être tuées, c'est le monde à l'envers !

Il faudrait donc que des femmes se donnent à des hommes qu’elles ne désirent pas pour éviter d’être tuées ou violées et, comme pour les prostituées, pour éviter que d’autres femmes soient tuées et violées. Aux femmes de faire en sorte que les hommes ne les agressent pas en se soumettant, le monde à l’envers !

Les discours haineux sont contaminants et extrêmement dangereux, ils tuent, ils alimentent une excitation à la violence et à la toute-puissance et produisent par des mécanismes neuro-biologiques liés au stress extrême une dissociation accompagnée d’une anesthésie émotionnelle qui fait exploser toute les barrières humaines d’empathie. La toute-puissance, pour s’exercer, à besoin d’écraser tout sentiment inné d’empathie pour autrui, de s’affranchir de toute limite, de toute loi.

Cette haine qui s’étale, cette haine raciste, antisémite, sexiste n’est pas la haine de ce qui est différent, étranger, ce n’est pas une haine pour se venger de ce qu’auraient pu commettre les victimes : atteintes aux biens, à l’honneur, frustrations, privations, provocations, etc. Comme dans la fable "Le loup et l’agneau" de La Fontaine, la volonté de tuer, de détruire n’a aucun rapport avec ce qu’a fait ou pas fait la victime désignée, elle est antécédente à la rencontre avec la victime, elle est gratuite et n’est là que pour alimenter la toute-puissance, l’hybris de celui qui la commet.

Elle a besoin d’avancer maquillée pour pouvoir s’exercer avec le maximum d’impunité, elle se pare de rationalisations mystificatrices pour la justifier, pour construire des théories, et toute une idéologie à la fois sur le danger que feraient courir les victimes désignées et leur total manque de valeur.

Et dans un retournement pervers elle dénonce chez les victimes – pour prouver leurs nuisances et leur indignité – des comportements de survie, des réactions de défense ou des situations qui ne sont que des conséquences des violences et des discriminations déjà exercées contre elles.

Un risque qui pèse sur toutes les femmes

Ce risque d’être confrontée à une haine gratuite pèse sur toutes les femmes depuis leur petite enfance, un regard, une parole, un geste va très tôt leur faire comprendre qu’à tout moment elles peuvent être réduites à un objet sexuel convoité, à une esclave domestique pour être humiliées et consommées.

Très rapidement les petites filles apprennent un de ces exercices de haute voltige, totalement paradoxal, et impossible : d’un côté elles doivent être hypervigilantes et s’autocensurer sans cesse pour ne pas susciter convoitise et appétit de chasseur chez les hommes, à elles d’organiser leur protection, et de l’autre elles doivent correspondre en tout point à une proie et une esclave sexuelle qui aime ça, pour être une femme au service des hommes, sexy, et ce le plus tôt possible, au risque sinon pour elles de ne pas être considérées par les hommes, et d'être laissées pour compte ou d’être haïes.

C’est la double contrainte, quoi qu’elles fassent, elles seront toujours en défaut et responsables des malheurs qui leur arriveront. Leur culpabilité et leur honte sont organisées de mains de maître.

Le sexe n'est ni un droit, ni une prédation

Et personne, ou presque, n’est là pour reconnaître la réalité de ces violences sur les victimes, leur gravité, les conséquences psychotraumatiques dramatiques sur leur vie, personne ou presque pour les protéger, pour les prendre en charge, pour les soigner et pour leur rendre justice !

Personne, ou si peu, n’est là pour demander des comptes à tous ces hommes violents qui considèrent le sexe comme un droit et une prédation, qui s’excitent à la haine contre les femmes, jouissent de leur terreur et de leur humiliation, et qui vont décharger sur les femmes toute leur réserve de violence et de désir de détruire, de torturer, voir de tuer.

Arrêtons de tolérer ces discours sexistes violents dangereux et le déni qui les entoure !

LDIF, La Ligue du Droit International des Femmes
6 place Saint Germain des Près 75005 PARIS France