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Une misogynie spécifique à l'Assemblée nationale et au Sénat

Par Hugo Domenach – Le Point.fr – 10 octobre 2013

Mercredi, l'Assemblée nationale a eu, pendant quelques instants, des allures de basse cour. Philippe le Ray, dans le rôle du député mufle un peu "aviné", a imité le caquètement de la poule lorsque Véronique Massonneau, députée EELV de la Vienne, a pris la parole lors du débat sur la réforme des retraites. Un incident qui montre que les comportements sexistes ont la vie dure à l'Assemblée nationale. Pour autant, les brimades misogynes, qui suscitent désormais un tollé général, sont-elles devenues exceptionnelles ?
"La misogynie est devenue visible"

Sur le sujet, Laurence Rossignol, porte-parole du groupe socialiste au Sénat, a de l'expérience. Elle avait décerné "le prix du beauf misogyne" à son collègue Bruno Sido (UMP) qui avait lâché "c'est qui cette nana" alors qu'elle prenait la parole pour défendre l'idée d'une double candidature paritaire pour les élections cantonales. Pour elle, les mentalités ont changé. "La misogynie est devenue visible. Pendant des décennies, seules les filles s'en rendaient compte. Aujourd'hui, la honte a changé de camp. Ce sont les auteurs de machisme qui ont honte." "Maintenant, les femmes ne se laissent plus faire. Elles n'ont plus peur d'ouvrir une polémique, alors qu'avant, elles ne faisaient pas de bruit, car c'était dévalorisant pour elles", poursuit-elle, pas peu fière de "la fessée" verbale qu'elle a infligée à Bruno Sido après sa phrase désobligeante.

Il faut dire qu'aujourd'hui l'institution protège mieux les élues. En guise de récompense pour ses moqueries cavalières, Philippe Le Ray a été privé du quart de son indemnité parlementaire, ce qui constitue une première historique, et la séance a été suspendue par le président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone, outré par "ces comportements incroyables". "Il y a dix ans, le président de séance aurait au mieux fait un rappel à l'ordre. Au pire, il aurait rigolé avec ses collègues", constate Laurence Rossignol.
Une misogynie spécifique à l'Assemblée nationale et au Sénat

Adjointe au maire de Paris et fondatrice d'un laboratoire de l'égalité, Olga Trostiansky dénonce une misogynie spécifique à l'Assemblée nationale et au Sénat. "Dans les assemblées générales, régionales, les conseils municipaux, ça n'existe plus, car la parité est respectée. On n'entend pas de blagues vaseuses au conseil de Paris", relate-t-elle. Et d'ajouter : "Tant qu'il n'y aura que 27 % de femmes au Parlement, les choses ne changeront pas." Elle pointe un certain nombre d'outils susceptibles de faire évoluer les choses comme le non-cumul des mandats et la nomination de la ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem comme porte-parole du gouvernement. Mais pour elle, il faut surtout changer la Constitution, car la loi sur la parité n'est pas assez coercitive, les partis préférant payer des pénalités que la respecter (L'UMP a été sanctionnée par une amende annuelle de 4 millions d'euros et le PS doit payer 1,2 million).

Une vision sévère partagée par Mariette Sinneau. Spécialiste de la question au centre de recherches politiques de Sciences Po, elle souligne que "la récurrence des propos sexistes en dépit du changement d'époque et de législation" constitue bel et bien "une exception française". Et d'ajouter : "La seule façon de faire régresser ces pratiques est de les sanctionner."
"Elle est bien roulée, tu crois qu'elle a une culotte ?"

Députée européenne, Corinne Lepage (Cap21) confirme que "ce qui s'est passé à l'Assemblée serait impensable au Parlement européen où il n'y a aucun sexisme car il y a 40 % de femmes". Mais elle constate tout de même une amélioration générale, même au Parlement. "Il y a vingt ans, une femme montait à la tribune et on entendait mezzo voce des observations sur son physique." Elle prend l'exemple d'une députée qui était intervenue à la tribune après le viol d'une femme dans le métro il y a près de 20 ans. "Avec la tête que t'as, ça ne risque pas de t'arriver", s'était écrié un député de droite. "Aujourd'hui, cela n'arriverait pas", poursuit-elle.

Janine Mossuz-Lavau, spécialiste de cette question, confirme que le sexisme en politique a changé. Sans disparaître. Au "sexisme passéiste et primaire, fondé sur une opposition sourde au vote même des femmes, a succédé "le sexisme insultant", dans les années 90. À cette époque, le combat pour la parité prend le relais. Et suscite une hostilité dont Édith Cresson notamment fait les frais. Ainsi, lors d'un discours de politique générale un député a-t-il pu se permettre de demander à haute voix : "Elle est bien roulée, tu crois qu'elle a une culotte ?" Puis est venu le "sexisme soft" des années 2000 avec en point d'orgue Dominique Strauss-Kahn qui renvoyait Ségolène Royal à ses fiches de cuisine. Un sexisme plus soft donc, mais qui a toujours la vie dure.

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